« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 7 octobre 2017

Projet Philomène #1 : Philomène Prost

Parti d’une remarque sur les réseaux sociaux (« on a tous une mémé Philomène »), le projet a pris corps : les descendants des « mémés Philomène » ont alors rédigés des billets racontant leur(s) Philomène(s). 
Sainte Philomène a été « mise à la mode » par le curé de St Jean d’Ars (Ain) en 1837 ; pour en savoir plus sur la sainte, voir ici grâce à l'article d'Antequam. Pour retrouver tous les billets des « mémés Philomène » écrits par les généablogueurs, cliquez ici ou ici pour les situer sur la timeline.
Dans mon arbre je compte deux Philomène, nées dans l’Ain aux XIX et XXème siècle : voici la première (qui est aussi la grand-mère de la Philomène #2).


Les trois enfants sont  là : Joseph (54 ans), Marie Félicie (47 ans) et Marie Virginie (42 ans). Ils trient les vêtements, les effets, les papiers. Philomène Prost, leur mère, a été mise en terre ce matin.

Un dialogue commence entre les trois « grands enfants » de la disparue :
- Quelle longue vie elle a eue : elle a quand même vécu 85 ans !  Je n’ai pas eu connaissance d’un membre de notre famille qui ait vécu aussi longtemps.
- En tout cas, elle fait sûrement partie des records, c’est sûr !
- Vous avez remarqué : papa et maman sont décédés le même jour, un 14 septembre, à 30 ans d’intervalle !
- Dire qu’elle est restée veuve pendant toutes ces années.
- Je n’avais que 12 ans quand papa est mort, fait remarquer Marie Virginie, la plus jeune. C’est curieux qu’elle ne se soit jamais remariée.
- Elle a été tellement affligée de son décès, qu’elle n’a pas eu la force d’aller le déclarer à la mairie : c’est notre oncle qui s’en est chargé.
- Oui, mais j’étais là, ajoute Joseph Hippolyte, l’aîné, et je me rappelle que le maire l’a qualifiée de « dame » dans cet acte.
- Tiens !
- Qu’est-ce que tu as trouvé ?
- Des vieux papiers : ici il y est mentionné une vente, en 1888 pour 726 francs, et deux acquisitions, datées de 1898 et 1909, pour une valeur de 615 francs, soit au total 1 071 francs.
- Tu sais à quoi ça correspond ?
- Non, pas vraiment. Il n’y a pas de détail ici.
- Oh ! Son acte de naissance : vous saviez qu’en fait elle s’appelait Marie Philomène ?
- Vraiment ? Mais on ne l’appelait que Philomène pourtant ! Je me rappelle même l’agent recenseur, lorsqu’il venait à la maison, il inscrivait bien « Philomène » seulement, et puis après la mort de papa c’était « Philomène veuve Gros [de son nom d’épouse], cultivatrice, chef de ménage ».
- C’est vrai !
- Elle a été aussi tisseuse et même ouvrière en soie, le saviez-vous ?
- Je ne sais pas pourquoi elle s’est mariée aussi tard : en février 1873 elle avait déjà 29 ans. Ce n’est pas tout jeune…
- Bah !moi aussi je me suis mariée à cet âge, réplique Marie Félicie !
- Oups ! ben moi, je n’avais que 24 ans… complète Marie Virginie.
- Elle attendait peut-être le retour de papa : souvenez-vous, pendant la campagne de 1870, il avait été fait prisonnier à Sedan, avec le 79e régiment de ligne où il était affecté. Il est resté 8 mois en captivité ! Le temps qu’il revienne, qu’il soit officiellement démobilisé et que le mariage soit conclu entre les familles, ça prend du temps.
- Je ne trouve pas de contrat de mariage dans ses papiers : je crois qu’il n’en n’a pas été fait.
- Oh ! Regardez : maman a signé son acte de mariage mais elle a inversé deux lettres : « Phiolmene » au lieu de « Philomène » !

Signature Philomène Prost, 1873 © AD01

- Ça  devait être l’émotion !
- Sur nos actes de mariage elle ne signait que « Prost » ajoutèrent en cœur les filles.
- Vous vous rendez compte quand même : elle est née sous la Monarchie de Juillet et le règne de Louis-Philippe, a connu successivement la Second République avec Louis Napoléon Bonaparte, le Second Empire avec Napoléon III, s’est mariée sous la Troisième République, a vécu sous 10 Présidents avant de s’éteindre sous le mandat de Gaston Doumergue !
- Et tous ces bouleversement de la société : les soubresauts politiques, mais aussi la Révolution industrielle, l’école obligatoire, la séparation des Églises et de l’État, les inventions comme la voiture, la Grande Guerre.
- Pourtant, il reste si peu de choses d’elle. Nous ne savons pas comment elle a vécu tous ces bouleversements, nous ne l’avons jamais questionné.
- Nous n’y avons même jamais pensé !
- Comme je le regrette aujourd’hui.
- Combien de fois je l’ai vue inquiète lorsque j’étais malade « de l’albumine » en 1912 [1] songea Marie Félicie.
- Elle s’inquiétait toujours.
- C’était une mère…
- Notre mère.


Marie Philomène Prost est née le 3 mars 1843 à Martignat (Ain). Elle a épousé Alphonse Élie Frédéric Gros le 22 février 1873 à Martignat et est décédée le 14 septembre 1928, toujours à Martignat. Ensemble ils ont eu trois enfants. Elle est mon sosa n°23, c'est-à-dire la grand-mère de ma grand-mère paternelle. Tous les détails mentionnés dans cette scène imaginaire sont issus des sources que j'ai pu trouver la concernant.


[1] L'albumine est la principale protéine du sang, soluble dans l'eau et fabriquée par le foie. Elle empêche la fuite de l'eau contenue dans le sang (plus précisément le plasma) vers les tissus, où elle est susceptible d'entraîner des œdèmes (collection d'eau dans les tissus). Un niveau inférieur à la normale d'albumine peut être un signe de maladie des reins ou du foie.


2 commentaires:

  1. Excellent un grand bravo à vous !

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    1. Merci ! rendez-vous la semaine prochaine pour la suivante... ;-)
      Mélanie - Murmures dancêtres

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